top of page

Quand la solution est celle qu’on n’attendait pas

Quand je dis que les solutions sont infinies en médiation, ce n’est pas une déclaration à la légère. Parfois, un dossier va se régler avec un échange de services ou un crédit.  Il est aussi possible de rédiger une entente qui non seulement règle le litige actuel, mais encadre aussi la relation des parties pour l’avenir. Je me souviens d’un cas en particulier où la solution a pris tout le monde par surprise.


ree

Un cas particulier

Richard (nom fictif), un développeur immobilier, avait fait l’acquisition d’un terrain boisé. À la limite de sa propriété se trouvait une parcelle de terre encombrée de débris et d’arbres en mauvais état. Comme il souhaitait un ensemble uniforme et propre, il s’est renseigné auprès de la municipalité pour en connaître le propriétaire. La municipalité lui a répondu que le terrain « n’appartenait à personne » et qu’il pouvait l’entretenir s’il le souhaitait. Grosse erreur!


Après les travaux de nettoyage, le réel propriétaire du lot (appelons-le Sylvain) découvre que son terrain a été modifié sans son consentement. Furieux, il réclame une compensation ainsi que des dommages punitifs pour les arbres abattus, en vertu de la Loi sur la protection des arbres[1].


Richard, stupéfait de se retrouver dans une telle situation alors qu’il avait pris soin de faire des vérifications préalables, dépose une demande reconventionnelle contre Sylvain. Il lui réclame le remboursement des frais engagés pour le nettoyage de son terrain.


Dès le début de la médiation, je me suis questionnée pourquoi personne n’avait impliqué la municipalité. Après tout, c’est sur la base de renseignements erronés que le développeur a entrepris des travaux sur un lot qui ne lui appartenait pas. Il aurait été pertinent que la municipalité assiste à la médiation et contribue au règlement du litige.


Cependant, plusieurs années s’étaient écoulées depuis les événements et la loi prévoit un délai de six mois pour impliquer une municipalité dans un litige[2]. La prescription[3] était donc acquise en sa faveur. C’est, selon moi, l’un des principaux désavantages d’une médiation tardive dans le processus judiciaire : elle empêche parfois d’impliquer un acteur clé au dossier.


Un autre problème s’ajoutait : le manque de force probante de la preuve.


Sylvain n’avait aucune preuve concrète du nombre exact d’arbres coupés, ne se rendant pas souvent sur son terrain. Il disposait de quelques photographies, mais celles-ci étaient peu concluantes.


De son côté, Richard n’avait aucune facture pour le nettoyage, ayant effectué les travaux lui-même sur son temps personnel. Il souhaitait réclamer une compensation basée sur son taux horaire d’entrepreneur, invoquant le principe d’enrichissement injustifié.


Les enjeux au dossier étaient majeurs et le risque était élevé que les conclusions judiciaires soient décevantes pour les deux parties. Personne n’avait intérêt à procéder, mais personne ne cédait sur ses positions.


C’est à ce moment que j’ai posé la question : « Sylvain, votre terrain serait-il à vendre? »


Un silence s’est installé. Les deux hommes se sont regardés, perplexes. Puis, une lueur d’intérêt a traversé leurs yeux.


« Pourquoi pas ? » a répondu Sylvain. Puis, s’adressant à Richard : « Faites-moi une offre et je vais l’envisager. »


Les quinze minutes suivantes furent consacrées à négocier la valeur du terrain. Finalement, une entente fut conclue. J’ai rédigé la transaction, une combinaison de promesse d’achat, d’échéancier et de quittance.


En quittant la médiation, je les ai croisés dans le corridor, en pleine discussion amicale.

Un tel dénouement ne vient pas par chance ou hasard. Pour atteindre une issue satisfaisante, le médiateur doit adopter une approche proactive. Si je m’étais contentée d’attendre que les parties trouvent une solution par elles-mêmes, elles seraient probablement restées sur leurs positions, risquant une bataille judiciaire où chacune avait tout à perdre.


C’est là toute la force d’une médiation réussie : inciter les parties à voir plus loin, à sortir des sentiers battus. Avec une approche adaptée, un bon médiateur ne se contente pas de faciliter les échanges – il fait basculer une impasse en opportunité.


[1] Loi sur la protection des arbres, RLRQ c P-37

[2] Loi sur les cités et villes, RLRQ c C-19, art. 586. 

[3] La prescription est un délai fixé par la loi au-delà duquel un droit ne peut plus être exercé ou une action intentée.

 
 
 

Commentaires


bottom of page