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À la recherche d’un coupable : la faute et le préjudice en droit québécois

Dernière mise à jour : 13 févr.

Après avoir agi dans plus de 400 dossiers à titre de médiatrice, je suis frappée par le nombre d'entre eux où la faute brille par son absence, mais où le préjudice est incontestable. Ce type de dossier est l’un des plus difficiles à régler dans le cadre d’une médiation, vu l'écart disproportionné entre les positions respectives.

Les attentes et les émotions du justiciable sont élevées. Il a évalué son préjudice à un certain montant et est persuadé que cette somme lui revient de plein droit. Pour lui, faute et préjudice sont indissociables : s’il y a souffrance, c’est que quelqu’un, quelque part, en est responsable. Et ce quelqu’un doit payer.


Or, le fait est que l’un peut exister sans l’autre. En droit québécois, trois éléments essentiels doivent être prouvés pour établir une responsabilité civile : la faute, le préjudice et le lien causal entre les deux (sauf cas exceptionnels, qui ne seront pas traités ici). Ce principe juridique entre en conflit avec la perception du justiciable, qui ne peut concevoir qu’un préjudice puisse exister sans qu’il y ait de coupable.


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Une quête de justice : à qui la faute?

Lorsqu’une personne subit un préjudice, elle cherche naturellement une explication qui puisse rendre cette souffrance tangible et compréhensible. Identifier un responsable permet de donner un sens à ce qui paraît injuste ou chaotique. Cela agit aussi comme une forme de baume émotionnel : si quelqu’un est à blâmer, alors la souffrance n’aura pas été vaine, elle peut être réparée ou vengée.


Pour certains, le concept suivant lequel un préjudice peut être le fruit du hasard sera perçu comme une forme de déni de leur douleur, remettant en question leur perception de la justice. C’est comme si, pour être légitime, le préjudice subi devait nécessairement être le fruit d’une faute ou d’une négligence. Cette croyance peut pousser le justiciable à insister, parfois avec acharnement, sur l’existence d’une faute, même lorsque celle-ci est objectivement absente.


Le rôle du professionnel du droit

Les avocats, médiateurs et juges doivent relever un défi de taille : expliquer au justiciable qu’un préjudice reconnu ne mène pas toujours à une compensation. Cela exige de l’empathie et la capacité de communiquer avec pédagogie les réalités juridiques.


Valider la souffrance du justiciable tout en l’aidant à saisir les fondements du droit représente une mission délicate pour le juriste, qui doit veiller à maintenir la confiance du justiciable dans le système de justice. Cette exigence s’impose à chaque moment clé du processus, que ce soit en consultation, en médiation, au cours d’un procès ou dans la rédaction des motifs. 


Un passage de la juge Claire l’Heure-Dubé dans l’arrêt Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, est d’ailleurs célèbre et maintes fois cité dans des contextes semblables :

« Toutefois, je ne saurais terminer sans exprimer une grande sympathie à l'égard du sort tragique de Nancy à la suite de cet accident et de la douleur et de la souffrance imposées à ses parents depuis. Guidée seulement par la sympathie, ma tâche aurait été beaucoup plus facile. Toutefois, en tant que juge, je dois appliquer les règles de droit et la sympathie est un mauvais guide dans ces circonstances. Justice doit être rendue conformément aux règles de droit et justice doit être rendue à l'égard des deux parties à un litige, tant les demandeurs que les défendeurs. »

L’écoute requise va donc bien au-delà de la simple passivité. Le justiciable doit se sentir compris et validé avant de pouvoir abaisser sa garde et s’ouvrir à l’autre. De la même manière, la partie adverse, souvent en colère et sur la défensive face à ce qu’elle perçoit comme des accusations injustes, aura besoin d’être écoutée pour qu’un dialogue puisse s’établir.


Vers une justice plus humaine

La médiation est tout à fait propice pour ce type d’échanges empathique. Après avoir pris le temps nécessaire à écouter activement le justiciable, je donne des explications concrètes sur des notions de droit comme l’accident malheureux ou la force majeure, ainsi que sur les limites de la responsabilité civile.


Inévitablement, le justiciable monte sa garde et tente de me convaincre du bienfondé de sa réclamation. Il insiste sur l’injustice du fait que la partie adverse n’aurait pas à le compenser. Face à cet argument, je soumets un scénario au justiciable pour lui permettre de s’imaginer à la place de l’autre.


« Je comprends votre sentiment d’injustice, vous avez beaucoup souffert et vous souhaitez être compensé. Permettez-moi de vous donner cet exemple : votre voisin vous accuse d’un cambriolage et croit sincèrement que vous êtes impliqué. Peut-être qu’il vous a vu dehors le soir des événements. Il dépose une accusation formelle contre vous et espère une condamnation. Il a effectivement subi un préjudice, mais vous, avez-vous commis une faute? Serait-il juste que vous soyez condamné sur la base de sa seule croyance sincère? »


Le justiciable arrive souvent à ce stade à mieux comprendre la situation. S’il est prêt à envisager un règlement, nous examinons alors ensemble les différentes possibilités. Certains dossiers se terminent par le versement d’une somme symbolique ou par un échange sincère entre les parties, qui agit comme un baume sur la souffrance de l’un et l’autre. L’avantage de la médiation est que les solutions y sont infinies.


Si toutefois le justiciable préfère aller à procès, je lui indique que je respecte son choix.  L’important est qu’il soit en paix avec celui-ci, quelle que soit l’issue juridique. Le rôle du médiateur n’est pas de convaincre ou d’imposer une décision, mais de fournir toutes les informations nécessaires à une prise de décision éclairée.


Chose certaine, le justiciable ne sera pas pris par surprise si le tribunal rejette sa réclamation, et pourra mieux l’accepter. Notre échange préalable aura servi à lui éviter de la rancœur et conserver sa confiance en notre système de justice. C’est cela, la mission d’un officier de justice.

 
 
 

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